Nous avons acheté des croissants dans la boulangerie du village et avons pris la route vers 9h. Comme hier, nous avons été surpris par la diversité des paysages. Par moments nous avions l’impression d’être dans nos montagnes, avec des conifères lâchant pives et épines sur le sentier, puis en Suède avec une forêt de bouleaux, et bien souvent dans le Sud avec les genêts, les cigales et les pins. Les villages sont tous ravissants et bien entretenus, habillant les collines verdoyantes de petites touches ocres ou grises. Il y a une multitude de fleurs et d’odeurs, d’insectes et d’oiseaux. Et surtout, pas de limace à l’horizon avec ce beau temps !
Nous avons parcouru quelques centaines de mètres sur le GR 7, qui part de l’Alsace et s’en va vers les Pyrénées, jusqu’à une croix où sont soi-disant enterrés des Protestants morts en 1562 lors des guerres de religion. Les Chrétiens ont cette fâcheuse habitude de planter des croix aux points les plus hauts, et c’est pourquoi nous n’étions pas surpris qu’il s’agisse là du point culminant du GR 42 (1311m). Je n’ai cependant ni pesté de l’ascension ni jubilé d’être au sommet car j’imaginais sous mes pieds des têtes de Protestants un peu partout (ils ne savent pas vraiment où ils sont, donc potentiellement ils pouvaient être sous nous). Qu’ils soient protestants m’importe peu, mais marcher sur des morts dont on ne se souvient pas vraiment a le don de tempérer mon allégresse.
Le chemin descendait ensuite très abruptement sur Bourg-Argental. C’était particulièrement désagréable car il y avait des cailloux tout le long, plutôt larges, qui roulaient sous les pieds et nous empêchaient de progresser à un bon rythme. D’énormes ornières avaient dû être creusées par des vélos, ce qui fait qu’en plus ce n’était pas du tout régulier. Nous avons fait une première pause au milieu de cette longue descente pour reposer un peu nos pieds, puis avons poursuivi jusqu’à Bourg-Argental. Ceux qui nous ont suivis lors de nos aventures en 2013 reconnaissent peut-être ce nom, puisqu’il s’agit en effet d’une ville située sur le GR 65 qui mène au Puy-en-Velay puis à Saint-Jean-Pied-de-Port. Nous étions donc déjà venus là, il y a 6 ans presque jour pour jour, et cela nous a fait sourire de reconnaître une boulangerie, le magasin où nous avons à nouveau fait quelques provisions, le petit marché couvert, etc.
Après les 700 mètres de dénivelé négatif, nous devions reprendre 500m de hauteur en quelques kilomètres. C’était à nouveau raide et accidenté, avec toujours ce sol inégal et creusé, plein de grosses pierres. Le guide que nous avons indique d’ailleurs qu’il faut compter 1h15 pour 3 petits kilomètres et utilise le terme “grimper”, plutôt approprié. Au milieu de cette ascension, nous avons croisé un marcheur qui venait en sens inverse. Il avait l’air fort heureux de nous voir et nous nous sommes arrêtés un instant pour discuter avec lui. Il nous a expliqué que depuis qu’il a pris sa retraite en 2011, il consacre une centaine de jours par an à la randonnée. Il a bientôt parcouru tous les chemins de grande randonnée de France et s’amuse maintenant à les relier entre eux. Il était ainsi parti de la jonction entre les GR 4 et 42 et marchait jusqu’à Bourg-Argental où le GR 42 croise le 65 de Saint-Jacques. Il a en revanche une façon un peu étrange de procéder, puisqu’il parque sa voiture à un point du chemin, marche environ deux heures jusqu’à rejoindre le point qu’il a atteint la veille, puis fait le chemin retour jusqu’à sa voiture. Ça signifie donc qu’il parcourt à double toute la distance ! Il nous a expliqué qu’il n’aimait pas dormir dans les gîtes et que sa femme, qui déteste marcher, reste ainsi une semaine dans un hôtel d’où elle peut visiter la région tandis que lui fait ses allers-retours sur les GR. Avec Pascal, nous nous sommes demandé pourquoi il ne demandait pas à sa femme de le conduire, lui permettant de faire une seule fois les trajets, mais nous ne le l’avons pas questionné. Le fait est qu’il avait déjà beaucoup parlé, nous énumérant presque tous les chemins qu’il avait parcourus (2 fois) et que nous n’osions pas le lancer sur un autre sujet. Il nous a indiqué que la croix de Cartara (croix = point culminant, merci les Chrétiens !) n’était plus si loin et nous nous sommes réjouis de cette nouvelle. Enfin, réjouis, moyennement, car nous gardons toujours nos réserves par rapport à ce genre de remarques, sachant pertinemment qu’elles sont toujours biaisées. D’après nos estimations il nous restait encore 2 bons kilomètres (sur les 4,5 de montée), et c’était plutôt correct.
Après un dernier effort intense sous un soleil de plomb, nous avons enfin débouché sur le col et la fameuse croix. Là, pas question de faire un pas de plus ! Mes habits étaient entièrement trempés de sueur, mes pieds endoloris à cause des pierres, je mourrais de soif et de faim. Nous avons posé les sacs à dos sous un arbre et avons pique-niqué là. Alors que nous occupions quasiment tout le chemin avec nos affaires éparses, nous avons vu débouler des motos. J’ai juste eu le temps de me lever et leur faire signe de s’arrêter avant qu’ils ne tournent et nous aperçoivent trop tard. Ils se sont arrêtés, nous ont salués, puis se sont élancés sur le petit sentier de randonnée que nous venions de gravir. A ce moment-là, nous avons compris pourquoi les ornières étaient si profondes et le chemin si défoncé ! C’est quand même incroyable qu’ils autorisent les motards à passer là…
Après une bonne heure de pause, nous avons remballé nos affaires et avons entrepris une nouvelle longue descente dans la caillasse. Après quelques kilomètres, j’ai senti tirer un peu mon genou droit et j’ai essayé d’aller le plus tranquillement possible. Je sais bien reconnaître un début de tendinite rotulienne, et je sais que si ça s’aggrave à peine je ne pourrai pas continuer cette marche… J’avais déjà eu des petites douleurs il y a deux semaines en courant et j’imagine que le poids du sac-à-dos cumulé aux longues descentes représente la pire combinaison possible !
Après les chemins caillouteux, nous avons eu droit à un chemin recouvert de longues herbes qui masquaient les cailloux. Autant dire qu’il ne m’a pas fallu plus de 10 mètres pour me tordre une cheville, heureusement sans gravité. J’ai ensuite marché à deux à l’heure, levant très haut les jambes à chaque pas et les reposant avec précaution, tâtonnant le terrain pour en déceler les irrégularités avant de basculer le poids de mon corps, à la façon des chevaux fiers qui font de la gymnastique rythmique (amis dresseurs, jockeys et écuyers, veuillez pardonner ce terme sans doute peu flatteur pour définir une discipline certainement très rigoureuse et passionnante). Inutile de préciser que nous avons poussé quelques jurons…
Arrivés à Vanosc, un charmant village en pierres, nous avons été à la chambre d’hôtes et avons demandé s’il leur restait de la place. La dame a répondu que oui, mais qu’elle n’acceptait pas les chiens. Elle nous a indiqué une autre chambre d’hôtes, que nous avons trouvée après quelques centaines de mètres. A nouveau, une chambre était disponible mais impossible avec Logan. Nous avons alors entrepris de téléphoner à d’autres gîtes de la région : à chaque fois la même réponse. Pas le choix, nous avons continué à marcher en suivant les balises tout en cherchant un coin où poser la tente. Très rapidement, nous avons pénétré dans une forêt et, sur la gauche, le sol était plutôt lisse et plat. Nous y avons posé nos sacs, puis avons fouillé ce coin de forêt jusqu’à trouver un emplacement adéquat plus éloigné du sentier. Vers 18h30, nous avons déplié la tente. La température était des plus agréables et nous avions trouvé un petit coin tranquille, mais Pascal rêvait de s’asseoir confortablement et de s’adosser tandis que j’imaginais une bonne douche et des habits propres. Nous avons beaucoup transpiré durant la journée et mis plusieurs couches de crème solaire, sur laquelle s’était collée la poussière des chemins de terre. Autant dire que je me sens crade ! Comme nous préférons préserver l’eau que nous avons, ne sachant pas quand nous en trouverons demain, je n’en ai utilisé qu’un tout petit peu pour tenter de me laver tant bien que mal le haut du corps et le visage. Ce n’était pas très concluant… Nous avons soupé contre deux troncs d’arbre et vers 20h avons décidé de rentrer sous la tente.