Le calme plat

Une grande table était dressée pour tous les hôtes et nous avons pris le déjeuner en compagnie de deux couples de vacanciers français. Nous avons discuté un peu, puis ils sont partis et nous nous sommes retrouvés seuls. Inutile de préciser que nous en avons profité pour embarquer quelques tranches de cake, des cookies, deux sachets de thé et quelques petits-beurre, de quoi améliorer radicalement notre maigre pique-nique de midi !

S’il ne s’est rien passé hier, que dire d’aujourd’hui ? Tout compte fait, croiser quelques personnes, même si elles nous ignorent, est très divertissant. Aujourd’hui, nous n’avons croisé personne sur la route. Nous en sommes même arrivés au stade où nous avons poussé un petit cri de joie quand nous avons aperçu une voiture, car à part les deux qui nous dépassés sur la route départementale devant le gîte, nous n’en avons vu qu’une seule autre sur les 15 kilomètres de l’étape. La route en terre était large d’au moins 4m quand le véhicule gris est apparu devant nous. Nous nous sommes serrés sur la gauche où nous nous trouvions, nous arrêtant même pour dévisager le conducteur avec un sourire. Le vieil homme qui conduisait a pris un air agacé et s’est aussi presque arrêté, estimant visiblement que nous contourner était une corvée et que nous n’avions rien à faire de ce côté-ci de la chaussée. Il a ralenti presque jusqu’à caler pour éviter une bosse de quelques centimètres, sa voiture elle-même a soupiré face à ce dérangement sans précédent, il a froncé les sourcils, fait un écart juste suffisant pour ne pas nous toucher (ç’aurait été fâcheux de rayer la portière gauche contre les branches 2 mètres plus loin !) et a ensuite accéléré en reprenant SON côté de la route. Et pendant ce temps-là, Pascal et moi le regardions passer avec un sourire niais, hésitant presque à faire coucou de la main, trop heureux de voir un humain en ce jour de solitude.

Mis à part cela, il ne s’est rien passé. Nous avons marché au début dans la forêt, toujours parmi les chênes, les pins et les châtaigniers, tandis que les coquelicots des derniers jours ont cédé la place à de nombreuses digitales pourpres (nous les reconnaissons car il y en a une photo dans notre guide). Nous avons fait des pronostics sur le nombre de maisons qui composeraient les hameaux à venir : nous ne misions jamais sur plus de cinq et nous étions toujours bien trop haut malgré tout, puisqu’en général, il n’y a qu’une seule maison derrière le panneau indiquant le nom du lieu… Une fois revenus sur le tracé officiel du GR (nous avions opté pour une alternative la veille), nous avons marché sur les crêtes des collines. Le vent très fort nous balayait sans cesse, nous projetant parfois un mètre à gauche, arrachant mon chapeau et soufflant de la poussière dans nos petits yeux en quête d’aventure. Nous avons trouvé un coin plutôt abrité derrière quelques arbustes pour manger à midi, puis lire un moment car nous ne voulions pas arriver trop tôt à destination.

Beauchastel

La route descendait ensuite en direction de Beauchastel sur quelques kilomètres. Notre chambre d’hôtes se trouve en amont du village, sur le GR, environ 1 kilomètre avant le centre. Nous avons été accueillis par Maria, qui nous a dit que Logan devait toujours être tenue en laisse pour ne pas courir après le chat, que nous ne devions pas la laisser seule dans la chambre et qu’il était strictement interdit qu’elle monte sur le lit. Le chat, pendant ce temps, ricanait sournoisement en se postant à quelques mètres de nous, tandis que Logan le fixait en chouinant.

La chambre est très étroite, mais elle conviendra pour une nuit. La maison bénéficie d’un grand jardin, d’une piscine et d’une belle vue sur la région même si le paysage n’est pas des plus bucoliques (ligne à haute tension, barrage sur le Rhône, zone industrielle…). Nous étions assez tentés par la piscine mais cela n’était pas possible avec Logan, puisque nous devions la garder avec nous en laisse. De toute façon avec ce vent, ça n’aurait sans doute pas été très plaisant. Après la douche, nous avons décidé de faire un tour au village, soi-disant classé. Nous étions surtout en quête d’une pâtisserie puisque nous n’en avons pas encore mangé depuis le début de nos vacances et que la frustration ressentie à Tain-l’Hermitage était encore gravée au fer au rouge dans nos esprits ! Il y a effectivement une petite boulangerie au centre du village. Mais voilà, une boulangerie, pas une pâtisserie… Il y avait néanmoins quelques tartes et mille-feuilles et nous nous en sommes contentés. C’était plutôt décevant : beaucoup trop sucré et peu raffiné, mais bon, nous sommes sans doute un peu trop exigeants ! Nous avons fait un tour du village, sans comprendre pourquoi ni comment il avait été classé, car nous le trouvions très laid, décrépi et sans âme… (Amis de Beauchastel, ne vous offusquez pas si vous nous lisez et regardez plutôt l’article de demain !) Nous avons donc fait demi-tour sur la route interminable bordée de maisons peu charmantes jusqu’à notre hébergement, nous répétant que jamais nous ne voudrions vivre là !

Souper avec nos hôtes

Le soir, nous avons soupé avec nos hôtes. C’est un couple de retraités sympathiques et très actifs. Ils habitent là depuis plus de 50 ans et passent tous leurs hivers au Portugal dans leur camping-car. Ils ont transformé leur maison après le départ de leurs enfants pour y créer un gîte et deux chambres d’hôtes en plus de leur appartement. Et plus récemment, ils ont construit un petit pavillon de l’autre côté du jardin, derrière la piscine, avec une chambre à coucher, une petite salle-de-bains et un séjour-cuisine confortable. Quand je leur ai demandé s’il s’agissait là d’un autre gîte qu’ils louaient, ils m’ont regardée d’un air interloqué.

- “Non, c’est là où on vit l’été !
- Ah, du coup le gîte est dans la maison principale ? 
- Oui, au rez-de-chaussée de notre appartement. 
- Vous ne louez pas votre appartement alors ? 
- Ah ben non, il y a toutes nos affaires, c’est chez nous ! 
- Mais pourquoi vous habitez dans le jardin alors ? 
- C’est plus proche du potager, c’est pratique. Mais c’est que l’été.”

Donc ces gens vivent en hiver dans une caravane au Portugal, le printemps et l’automne dans leur maison et l’été dans un pavillon à 20 mètres de leur maison, parce que c’est plus proche du potager. Je suis circonspecte.

Nous avons passé une soirée agréable, mangeant dans le jardin devant leur pavillon estival, alors que le vent était tombé. Le souper était bon et à la bonne franquette et ça nous a fait plaisir de manger en leur compagnie. Durant le dessert, j’ai fait preuve d’un courage inouï pour ne pas paraître à la fois ridicule et impolie : j’ai mangé les cerises sans les ouvrir au préalable pour une inspection minutieuse, comme si elles ne contenaient forcément pas de vers ou que ça ne m’importait guère, me montrant stoïque tout en restant naturelle.