Nous avons entamé la marche sur une route de campagne, avant de rejoindre une petite forêt traversée par une rivière. Les panneaux de randonnée indiquaient deux variantes pour la même destination : à travers les alpages ou le long de la rivière dans la forêt. Comme la durée n’était pas indiquée nous avons opté pour le balisage du chemin panorama alpin à travers les champs, de crainte qu’un détour pour voir les cascades n’allonge considérablement le parcours. La montée à travers les champs était peu claire et mal balisée, aussi avons-nous visé le sommet des pâturages en direction de la lisière des bois en amont. Une fois arrivés, nous avons recollé avec le sentier qui longeait la rivière, pour constater qu’il était marqué comme chemin panorama alpin… Une erreur de balisage un peu dommage au final, car la piste en forêt devait être plus plaisante.
Nous avons parcouru ensuite une route forestière, puis des chemins assez raides, jusqu’à atteindre un beau plateau avec un ruisseau et des milliers de fleurs aux couleurs vives. Nous y avons fait une pause, entourés de sommets rocheux photogéniques et imposants et survolés par de nombreux avions qui faisaient trembler le ciel et nous rappelaient les films sur Londres lors de la deuxième guerre mondiale. Logan jouait quant à elle à sortir des pierres du ruisseau, bien ignorante de ces tracas.
La piste montait encore un peu jusqu’à un joli plateau plus vaste et hostile, d’où nous entendions siffler quelques marmottes. Le vent soufflait fort et il y faisait froid, alors nous avons pressé le pas pour atteindre le col. A partir de là, nous avons croisé de nombreux marcheurs et cyclistes, tandis que la petite route bien entretenue était exempte de voitures.
A un croisement, nous avons délaissé le chemin officiel pour une variante un peu plus directe, qui descendait sévèrement à travers des champs. Nous avons fait la pause de midi peu avant Amden, contre une étable avec une belle vue sur le lac de Walenstadt.
Il faisait cependant un peu froid avec la bise, alors nous n’avons pas tardé à renfiler nos sacs et pénétrer dans une jolie forêt au sol tapissé d’épines. Nous avons traversé Amden, marché dans de nouveaux pâturages, puis atteint un escalier historique. Il s’agit de la voie qu’empruntaient les gens aux siècles derniers entre Amden et Weesen, délaissée après l’inauguration de la route actuelle. L’escalier a été restauré il y a une quinzaine d’années et est maintenant utilisé comme voie pédestre. De larges pierres claires plus ou moins plates composent les marches sur des dizaines de mètres. Bien que les parcourir s’avère compliqué en raison de leur irrégularité, il s’agit assurément d’un passage à la fois joli et digne d’intérêt. Nous n’avons nullement regretté d’avoir suivi ce chemin plutôt que la variante par la route.
Au bas de l’escalier, nous avons marché quelques minutes au bord d’une route cantonale, passant dans un tunnel pour traverser une gorge puisqu’aucun sentier pédestre ne le permet à cet endroit. Un trottoir était cependant présent tout le long, sécurisant notre progression. Rapidement, nous avons pu repartir sur des petits chemins agréables qui descendaient jusqu’à Weesen, au bord du lac.
Le village est petit mais avec de grandes maisons dignes d’une ville côtière. Les quais sont aménagés avec soin, avec des aires de jeux pour enfants, de nombreux bancs fantaisistes et des statues. Nous avons repéré notre hôtel à quelques pas de la rive et avons demandé à la serveuse du restaurant au rez-de-chaussée où se trouvait la réception. Elle nous a curieusement indiqué l’hôtel en face. Nous nous y sommes rendus avec Pascal, tandis qu’Isabelle attendait dehors avec Logan. Nous avons précisé au monsieur que nous n’étions pas sûrs si la réservation était pour eux ou chez les autres, puisque nous pensions qu’il ne la trouverait pas dans son registre vu que nous avions réservé à l’autre, et qu’il nous trouverait alors bien idiots… Ledit monsieur ne pipait mot et nous a tendu un bulletin d’arrivée, que nous avons rempli en ne sachant toujours pas si nous étions en train de réserver des chambres supplémentaires. Après un long moment, il a repris le bulletin et cherché une réservation au nom de Pascal, bien que nous lui ayons dit auparavant qu’elle avait été faite par Isabelle. Après une minute environ où je le voyais froncer de plus en plus les sourcils, j’ai craint qu’il attrape une crampe des yeux et je lui ai répété que c’était au nom d’Isabelle. Il a marmonné des paroles inintelligibles et, deux minutes plus tard, a dit qu’il ne trouvait rien pour Pascal. Ah ben zut ! Quels sots nous avions été de ne pas lui dire plus tôt que c’était pour Isabelle ! Il a alors trouvé la réservation, ce qui nous a surpris puisque ce n’était pas le bon hôtel, et ses sourcils se sont froncés de plus belle, ne formant bientôt plus qu’un. Il nous a dévisagés, établissant visiblement dans sa tête des calculs compliqués, avant de revenir à son écran. Encore un peu plus tard, tandis que nous commencions à nous dire que nous aurions enlevé nos sacs si nous avions su que nous allions devoir attendre là un quart d’heure, il a dit : “Mais j’ai une réservation pour trois personnes. Vous êtes deux.” Ah, c’était donc ça le problème. Nous lui avons expliqué que la troisième attendait dehors et il a eu l’air tellement soulagé que son sourcil s’est à nouveau dédoublé. Une fois toutes ces intrigues élucidées, il a pu …commencer l’enregistrement. Nous avons ensuite payé, attendu au moins trois minutes qu’il imprime le reçu, puis trois autres encore tandis qu’il choisissait méticuleusement deux clés parmi toutes celles disposées devant lui. Nous avons obtenu les précieux sésames après tellement de temps qu’Isabelle nous a à peine reconnus à notre retour, tant nous avions vieilli. Elle croyait qu’il nous était arrivé une aventure extraordinaire ou un malaise à l’intérieur et a eu l’air dépitée quand nous lui avons avoué que nous avions simplement payé et pris les clés…
Après une bonne douche, une lessive dans le lavabo et un peu de calme, nous sommes ressortis pour souper au restaurant de l’hôtel où nous avions réservé mais qui n’est pas le nôtre par quelque magouille incomprise. Nous avons ensuite fait un petit tour au bord du lac, pour apercevoir une statue avec une plaque commémorative. Elle nous apprenait qu’en 1835, Franz Liszt a séjourné deux nuits dans le même hôtel que nous. Avec sa compagne, ils ont fait deux tours en bateau à rames sur le lac et cette fabuleuse expérience a inspiré une chanson à Franz, intitulée simplement "Au lac de Wallenstadt" (son émoi l’a sans doute empêché d’orthographier correctement le nom du lac). Sa compagne a plus tard raconté qu'à chaque fois qu'elle entendait cette pièce, les larmes lui venaient aux yeux tant ce souvenir était merveilleux et inoubliable. Nous nous demandons si un jour il y aura aussi une plaque commémorative à chaque endroit où nous avons dormi ou fait du pédalo…