L’étape du jour s’annonçait moins rude que les précédentes, avec un dénivelé plus abordable et de nombreuses forêts pour nous protéger de la canicule.
Après avoir quitté l’hôtel, nous avons rejoint le bord du lac et l’avons traversé par un sentier aménagé dans une zone sauvage. Il semble qu’ils aient récemment décidé de laisser la nature reprendre ses droits dans ce lieu afin de favoriser la biodiversité et ravir les passionnés d’oiseaux et de moustiques. Les vrais lésés dans l’histoire, ce sont les arbres qui poussaient là depuis des décennies en paix, observant d’un œil mutin le joggeur au matin et exposant leur douce ramure au soleil caressant et qui, tout à coup, ont vu leurs troncs baigner dans un mètre d’eau vaseuse et des grenouilles coasser sur leur branches. Si les arbres pouvaient parler, ils auraient certainement appelé au secours : “Bande de saligauds ! Reconstruisez cette digue fissa !” Mais puisque personne n’a voulu les entendre, ils sont tous morts et leurs squelettes décharnés mais grandioses apportent une tragique désolation à ce décor.
A l’autre bout du marécage, nous devions monter le long d’une rivière pour atteindre le sommet d’une colline. En réalité, il s’agissait plutôt d’escalader des rochers le long d’un ruisseau. Sur un kilomètre environ, nous avons gagné près de 400 mètres de hauteur. Nos quadriceps ont bien travaillé, nos bras aussi pour nous hisser à certains endroits, nos cœurs et poumons ont prouvé leur valeur et nos yeux ont même osé parfois quitter le “sentier” pour apprécier la beauté de la gorge qui nous entourait. Nous avons été surpris de croiser des promeneurs en sens inverse ainsi qu’une dame qui descendait en courant. Sans doute est-ce un excellent parcours pour la proprioception et le décès.
Au sommet, nous avons longé un petit lac avant de pénétrer à nouveau dans la forêt. Quand nous en sommes ressortis, la vue sur les montagnes nous a coupé le souffle, ou du moins ce qu’il en restait. Elles se révélaient au loin derrière une brume légère qui les rendait mystiques, découpées sur six ou sept niveaux à la manière des estampes chinoises. Les plus lointaines, presque invisibles, paraissaient à la fois menaçantes et majestueuses avec leurs glaciers et leurs parois escarpées. Nous les admirions avec respect et un brin d’inquiétude, comme Frodon et Sam approchant du Mordor, sauf que notre Mordor s’appelle la Slovénie et n’est à priori pas peuplé de créatures infâmes. Mais ça, c’est pour un autre jour.
Durant une petite pause devant une caserne de pompiers, nous avons étudié la carte qui proposait deux options pour la suite de la journée. La première, plus courte, suivait une route plutôt directe tandis que la seconde menait à la ruine d’un château dans la forêt et ajoutait environ 45 minutes de marche. Nous avons privilégié cette deuxième variante, préférant un chemin sous le couvert des arbres plutôt qu’une route goudronnée peut-être ensoleillée. Nos espoirs quant à la ruine n’étaient pas très élevés puisque les dernières annoncées s’étaient réduites à un ou deux pans de murs nous arrivant à la hauteur des genoux. Nous nous sommes donc dit que nous serions conquis s’il y avait deux bouts de murs de taille respectable, soit au moins la nôtre. Nous devons reconnaître que le résultat dépassait de très loin nos attentes, puisqu’il y avait une pièce de quatre murs avec des restes de moulure aux fenêtres, mais surtout un immensissime reste de donjon qui tient debout par je ne sais quel miracle. La promenade dans la forêt autour de feu l’édifice était également des plus agréables et nous n’avons pas du tout regretté ce léger détour.
Nous sommes malgré tout quelque peu surpris du peu d’animaux que nous apercevons dans les bois. A part un crapaud hier, une biche aujourd’hui et quelques rapaces, nous n’avons rien vu. Il n’y a pourtant presque personne et je ne chante pas si souvent, donc nous nous attendons à croiser de temps à autre un chevreuil ou un écureuil, mais non.
Nous avons dîné sous le porche d’une petite chapelle avant d’atteindre le lac de Saisser dans lequel se baignaient de nombreuses personnes. Nous avons ensuite rejoint une route et l’avons suivie sur quelques centaines de mètres dans une chaleur suffocante, pour le plus grand malheur de Logan. Dans un virage, nous avons découvert le lac de Wörther et sommes restés sans voix : il est d’un bleu turquoise époustouflant, contrairement à tous les lacs que nous avons vus depuis une semaine et qui ont des couleurs de bêtes lacs. Celui-ci rivalise avec les lagons paradisiaques qu’on peine à associer avec l’Autriche !
Nous avons poursuivi la descente d’un bon pas afin de l’écourter au maximum. Il nous restait alors une demi-heure de marche et nous pensions que ça allait être très pénible, aussi avons-nous été étonnés de pénétrer dans une nouvelle forêt et de rejoindre Velden par une gorge très fraîche. Il s’agit du plus ancien chemin de randonnée de la région, inauguré en 1885 déjà et nommé “ravin du diable” en raison d’une vieille légende impliquant ledit diable, une damoiselle, son âme et un peu de ruse. Dans tous les cas, c’était une promenade superbe qui clôturait à merveille cette très belle étape.
Velden est une petite ville huppée qui a des airs de bord de mer avec ses restaurants, ses glaciers et ses fleurs. La jet-set locale s’y retrouve visiblement, puisqu’il y a de nombreux palaces, des voitures de luxe, un casino, un golf et des gens très bronzés avec de tout petits chiens. Nous avons décidé pour notre part de nous préparer à arriver en Italie en dégustant deux glaces chacun.