Après une nuit fort inconfortable et bercée par les doux chants d’anniversaire de jeunes slovènes éméchés puis par des orages à décoiffer des alpagas, nous avons emballé nos affaires et nous sommes mis en route. Nous avons fait une première halte à l’office du tourisme afin de savoir si nous pouvions prendre le bus avec Logan. La dame a téléphoné à la compagnie qui lui a répondu par la négative. Nous avons alors dû reprendre contact avec le chauffeur de taxi pour qu’il vienne nous chercher à Trenta dans l’après-midi.
Nous avons quitté Kranjska Gora en remontant la petite mais très belle rivière Pišnica d’abord sur un sentier en terre puis sur un chemin de cailloux blancs. De nombreuses personnes profitaient également de cette belle journée ensoleillée pour se promener dans le parc national du Triglav. Nous avons pris ensuite un peu de hauteur jusqu’à atteindre une étonnante chapelle russe en bois perdue au milieu des bois, érigée en souvenir des quelque 400 prisonniers de guerre russes tués dans une avalanche en 1916 alors qu’ils construisaient une route.
Le guide prévoyait dès lors 1h35 de marche pour arriver au col de Vršič. Nous avons grimpé d’un bon pas jusqu’à atteindre la route malgré des pentes plutôt raides et glissantes en raison des nombreuses racines humides. Nous pensions être quasiment au sommet quand nous nous sommes engagés sur un petit chemin muletier qui s’est révélé interminable. Après plusieurs centaines de mètres toujours en montée, nous commencions à nous agacer car même si nous marchons sans GPS ou montre, nous sentions que nous avions déjà parcouru la distance et le dénivelé annoncés et que cela faisait bientôt deux heures que nous avions quitté la chapelle. Nous avons alors croisé par hasard le propriétaire de notre hébergement à Kranjska Gora qui venait à vélo en sens inverse. Il nous a encouragés d’un air enjoué en affirmant que nous étions en effet bientôt en-haut car il nous restait à peine une heure de marche. J’aurais pu le frapper s’il n’était pas parti aussi rapidement, tout guilleret qu’il était sur son vélo électrique !
Fort heureusement, nous avons aperçu la cabane au sommet quelques minutes plus tard, non sans avoir coupé plusieurs lacets par des chemins verticaux tracés par nos prédécesseurs aussi impatients ou irrités que nous. Fatigués, nous avons décidé de boire un verre et manger un gâteau local aux noix à la cabane, pouvant ainsi mettre en pratique nos très maigres connaissances du slovène. En scrutant la toute petite carte qui figure dans le guide, nous avons réalisé que nous étions bien plus hauts que le col et que nous avions effectivement ajouté plus d’un kilomètre à l’étape. Il aurait fallu que nous suivions la route au lieu d’emprunter le sentier muletier et nous aurions atteint ce satané col en quelques minutes. Toutefois, comme le chemin était très bien balisé tout le long nous avons suivi les panneaux et n’avons pas songé à vérifier les raccourcis suggérés par l’espiègle auteur du guide…
Il a commencé à pleuvoir alors que nous descendions vers le col. Nous avons rapidement enfilé nos K-ways et avons choisi de poursuivre sur la route plutôt qu’emprunter le chemin de randonnée. Celui-ci descendait dans la forêt jusqu’à la source de la rivière Soča 800 mètres plus bas en moins de quatre kilomètres. Il s’agissait donc forcément d’une pente sévère. Le sentier s’éloignant de plus rapidement dans les bois, nous n’aurions eu aucune possibilité de revenir sur la route si nous jugions le terrain trop glissant ou dangereux. Nous avons dès lors préféré la route plus longue avec ses nombreux lacets mais moins périlleuse, d’autant plus que les gens semblaient conduire prudemment et que la chaussée était large. Après plus de vingt lacets et huit longs kilomètres d’asphalte sous la pluie, nous avons retrouvé les balises de l’Alpe Adria Trail.
Certes, ce tronçon s’est sans surprise avéré rébarbatif mais il nous a permis d’avancer à un rythme élevé, de ménager nos genoux et de ne pas nous blesser. Nous avons de plus pu observer plusieurs constructions datant de la première guerre mondiale, pour la plupart en piteux état. Des bunkers, tunnels, postes d’observation ou autres édifices militaires parsèment en effet ces montagnes, puisqu’elles ont été entre 1915 et 1917 le siège des terribles batailles de l’Isonzo (nom de la rivière Soča en italien). On parle là de 500’000 morts et près d’un million de blessés parmi les pauvres bougres envoyés défendre ou conquérir des cailloux stratégiques… Ces chiffres font décidément froid dans le dos et témoignent de l’absurdité de ces conflits. Ils sont tellement astronomiques qu’ils sont arrondis à la centaine de mille, on considère ces morts et moribonds comme une masse dans laquelle est oublié chaque soldat. Disparus, les noms, le passé, les humeurs et l’histoire propres à chacun de ces braves hommes ; juste quelques chiffres qui les confondent ingratement sur des monuments et une page Wikipédia. Mais qu’elles sont grandes, ces guerres…
Nous sommes passés devant la paisible statue de Julius Kugy, un pionnier de l’alpinisme slovène qui est immortalisé le regard posé sur sa montagne favorite. La pluie a alors cessé et nous avons parcouru la fin de l’étape au sec le long de la Soča. Selon je-ne-sais-qui, il s’agirait de la plus belle rivière d’Europe. Il m’est bien sûr impossible de corroborer cette opinion car je n’ai pas vu toutes ses concurrentes, mais je dois admettre n’avoir aucune objection à émettre. Son eau limpide est d’un bleu époustouflant !
L’étape du jour s’est encore allongée quand nous avons naïvement suivi les panneaux du Soška pot, le chemin le long de la Soča, et que ces derniers nous ont conduits à une grotte avec une petite cascade. Nous avons dû revenir sur nos pas pour traverser un pont et le sentier a continué à descendre dans la forêt, avec en fin de compte peu de beaux points de vue sur les eaux claires de la rivière. En raison de la pluie, le sol était devenu boueux et les nombreuses pierres et racines le rendaient encore plus glissant. En dépit des consignes dans le parc national, nous avons détaché Logan pour ne pas périr, puisqu’elle adore donner de petits coups secs sur la laisse dans les passages les plus délicats. Mais même sans elle, nous avons fini sur les fesses…
Malgré la météo, nous avons croisé quelques marcheurs en sens inverse. Nous avons également dépassé un père et sa fille qui parcourent comme nous l’Alpe Adria Trail. Ils viennent évidemment d’Allemagne. Le monsieur avait l’air exténué et semblait en délicatesse avec un genou, ce qui n’est pas étonnant s’il a suivi l’itinéraire officiel et la violente descente après le col.
Nous avons failli rater le village de Trenta car les panneaux étaient en slovène uniquement, mais par chance je me suis arrêtée pour prendre une photo tandis que Pascal patientait devant les flèches qu’il a ainsi pu longuement observer. Au moment où nous allions repartir il a réalisé que nous étions arrivés à destination et nous avons quitté le chemin pour nous rendre au centre de Trenta. En réalité, il n’y a pas grand-chose d’autre que le centre à Trenta, ou peut-être n’y a-t-il rien autour. Il s’agit d’une poignée de maisons avec néanmoins un bar, un magasin qui n’a pas dû être impacté par les normes Covid car une seule personne peut s’y tenir à la fois et un centre d’information du parc national.
Le chauffeur de taxi est arrivé précisément au moment où nous commencions à manger un hot-thon*. Nous nous sommes à moitié étouffés en voulant rapidement avaler notre maigre repas, avons remballé nos affaires et sommes montés dans la voiture.
Bovec est une petite ville touristique qui vit visiblement des sports d’extérieur. De nombreuses agences proposent des excursions en kayak ou rafting et nous avons croisé des dizaines de cyclistes. Malgré tout, elle possède plus de charme et d’authenticité que Kranjska Gora.
Nous avons pris possession de notre chambre d’hôtel avec bonheur, car les deux dernières étapes se sont révélées longues et difficiles, d’autant plus avec les sacs alourdis par le nouveau paquet de croquettes de Logan. Cela nous fera du bien d’avoir une journée plus calme demain !
* recette raffinée et brevetée qui se compose d’une baguette savamment creusée avec l’index et dans laquelle on glisse délicatement du thon