A l’ombre des cyprès

Nous avions prévu de partir tôt, mais la propriétaire du Bed & Breakfast s’était donné tant de peine pour le déjeuner que nous nous sommes sentis obligés de goûter à tout et de manger trois fois trop. Hier, nous lui avions pourtant dit que des tartines nous suffiraient amplement quand elle nous avait annoncé qu’il y aurait des gâteaux, un assortiment de fromages et charcuteries, des yogourts, du pain, des céréales et des fruits. Nous l’avions interrompue avant qu’elle ne liste les pizzas et les plateaux de fruits de mer en lui disant qu’on ne mangeait pas beaucoup et que nous n’avions en tout cas pas besoin de salé. Voilà pourquoi elle nous a accueillis ce matin dans son joli jardin en expliquant : “Puisque vous ne voulez que du sucré, voici un gâteau aux abricots, un strudel aux cerises du jardin, des crêpes au chocolat, un cake au yogourt et des verrines de ricotta et poires. Mais commencez plutôt avec les yogourts et les fruits de notre verger. Il y a aussi le pain et les confitures maison pour tout à l’heure et si vous voulez des œufs je peux les faire brouillés. Ah, mais j’ai oublié d’amener le muesli…” Autant dire que nous n’avions plus faim bien avant les tartines et nous espérons qu’elle n’avait pas acheté le pain juste pour nous, d’autant plus que nous étions ses seuls clients. Quoi qu’il en soit, nous avons pris la route avec la sensation d’exploser !

Nous avons quitté Cormòns et sommes montés à une petite chapelle qui a été érigée au 16e siècle après qu’un paysan y a assisté à un miracle : alors qu’il conduisait ses braves bœufs, il a aperçu un crucifix qui transpirait. Face à ce spectacle inouï, son troupeau ne daignait plus avancer et nous pouvons sans autre imaginer ce pauvre bougre agitant ses petits bras en l’air et criant “che miracolo ! che miracolo !”. Pouf, une chapelle et 500 ans plus tard, même nous petits promeneurs sommes au courant de cet événement. J’ignore par contre si le crucifix en sudation a été conservé et s’il se trouve dans la chapelle, puisque celle-ci était fermée.

Non loin du chemin

Nous nous sommes ensuite enfoncés dans une forêt sur une colline. Une brèche entre les arbres nous a offert une très belle vue sur la plaine et ses doux reliefs, et c’est juste ensuite que nous avons dû nous égarer car nous sommes sortis de la forêt au beau milieu de vignes alors que nous aurions dû poursuivre dans les bois. Il nous semblait pourtant avoir été attentifs mais le balisage étant parfois folklorique, nous n’étions qu’à moitié surpris. Par contre, nous nous sentions penauds car nous avions décidé aujourd’hui de suivre scrupuleusement l’Alpe Adria Trail et voilà que nous étions une fois de plus sur une variante de notre cru, bien qu’involontaire cette fois-ci. A l’aide des quelques éléments que nous distinguions, un clocher d’église, une route et un golf, nous avons repéré notre emplacement sur la toute petite carte du guide et avons rejoint un village où nous avons fait une halte. 

Depuis là, nous voulions éviter d’avoir à remonter jusqu’à un petit lac et avons vu que la route sous l’église longeait la ligne de chemin de fer et nous permettait de rejoindre le Trail un kilomètre plus loin. Quand la route a commencé à monter et à tourner sur la gauche, nous avons compris que nous étions en train de nous rendre au susmentionné petit lac. La carte dans le guide n’est pas suffisamment précise et ne comportait qu’une route sous l’église. Nous savons maintenant qu’il y en a au moins deux. Le lac en question, nommé “Lac rouge”, n’est ni rouge ni ravissant ni accessible au public, aussi étions-nous fort heureux d’avoir marché un bon quart d’heure pour l’atteindre.

Au soleil

Il faisait alors déjà très chaud et le reste de l’étape prévoyait plusieurs passages en plein soleil sur la route. Nous avons notamment suivi une longue allée de cyprès menant à un cimetière. Certes, ces arbres conféreraient majesté et solennité à une voie de garage, mais leur qualité ombrante est plutôt risible, d’autant plus quand le soleil est au zénith. Alors que je m’amusais à deviner quelles personnalités de renom devaient résider à jamais au bout d’une telle allée, Logan a quant à elle entraîné son endurance avec un efficace exercice en intermittence : accélérer au soleil, ralentir à l’ombre, sprint, marche, sprint, marche… Une fois ainsi bien échauffée, elle était prête pour les dix minutes de marche très rapide sous un soleil de plomb alors que la route traversait des vignes. Personnellement, j’adore la chaleur mais cela me faisait mal au coeur pour Logan qui souffre même en décembre quand deux rayons caressent son museau. Nous avons donc hâté le pas pour abréger son calvaire et avons fait une petite pause contre une haie aussitôt les premières maisons atteintes.

La fin de l’étape s’est révélée plus agréable puisque nous avons rejoint le couvert des arbres puis suivi une rivière. De façon incompréhensible, nous avons à nouveau réussi à nous tromper de chemin et avons ainsi ajouté quelques centaines de mètres à l’étape. Cela ne nous a toutefois nullement contrariés car nous avons déniché une très jolie place au bord de l’eau pour pique-niquer. Il ne nous restait ensuite plus qu’une demi-heure environ dans la campagne jusqu’à Gradisca. Nous sommes très fiers d’annoncer que nous ne nous sommes pas perdus dans les champs d’asperges ni sur la petite digue qui conduisait tout droit à la ville.

Gradisca d’Isonzo

La vieille ville est très bien conservée, avec de nombreux immeubles anciens, des églises et des palais. Elle est cernée de remparts presque intacts avec leurs tours et portes. Un château est domine encore l’ensemble mais il semble être abandonné et toutes ses fenêtres sont condamnées. J’ignore si un projet de restauration ou de réhabilitation est en cours mais il serait désolant de laisser un tel édifice tomber en ruines !

Un immense parc arboré fait office de place centrale et sépare la vieille ville des immeubles récents. Notre hôtel se situait aux abords du parc et nous avons dû en faire trois fois le tour pour le trouver : en raison du feuillage des arbres nous ne discernions aucune enseigne depuis la place… A notre arrivée, je suis restée interloquée quand la réceptionniste nous a demandé si nous étions en voiture. Notre état était tellement pitoyable que nous en étions presque gênés : nous étions luisants de sueur et de crème solaire puisque les températures dépassaient alors largement les 35°C, nos habits étaient trempés et portaient des traces de sel, Logan a toujours ses pattes tachées par le goudron et sa langue pendait tellement qu’elle devait se méfier pour ne pas marcher dessus. Sans mentionner que nous portions des sacs-à-dos et des chaussures de marche sales. Je crois que si quelqu’un arrive en voiture dans un état pareil, il faut songer à faire réviser la climatisation…

Alors que nous nous promenions dans les ruelles piétonnes du centre, nous avons revu Stefanie et son chien. Elle nous a donné l’adresse de l’hôtel où elle se rend demain car nous n’avions rien trouvé de disponible. Un coup de téléphone et le problème était résolu. Nous avons ensuite voulu souper et avons demandé à un restaurant s’ils avaient de la place. Le patron m’a expliqué que nous pouvions nous asseoir mais pas manger car d’autres clients avaient réservé et qu’ils n’avaient pas suffisamment de nourriture en stock pour préparer quoi que ce soit en plus. Comme regarder les autres manger ne nous réjouissait pas particulièrement, nous avons préféré souper dans la pizzeria d’en face qui nous a joyeusement réconciliés avec la cuisine locale.