Dans les tranchées

Afin de partir tôt, nous avions acheté du déjeuner hier après-midi et avons rapidement mangé ce matin dans notre chambre d’hôtel. Peu après 7 heures nous étions en route. Cet effort s’est révélé vain quelques minutes plus tard quand nous nous sommes perdus dans la forêt… Nous devions pénétrer dans un joli bois et suivre le chemin de Rilke, un sentier visiblement prisé des joggeurs et promeneurs de chiens. Il était mentionné à de nombreuses reprises qu’il était strictement interdit de poser un pied en dehors du chemin, aussi l’avons-nous suivi consciensieusement jusqu’à nous retrouver face au château de Duino. Sur notre gauche, des falaises ; à droite, notre hôtel. Nous sommes revenus sur nos pas en observant avec attention les arbres à chaque embranchement sauvage où des pistes s’éloignaient dans les bois, mais nous n’avons repéré aucune balise. Retour donc au début du chemin de Rilke. Une carte y était affichée et nous en avons déduit que nous devions nous engager sur le dernier sentier avant le château, même si celui-ci n’était pas bordé de pierres comme la voie officielle que nous ne devions quitter pour rien au monde… Nous avons dès lors longé les falaises vertigineuses qui plongeaient dans la mer quelques dizaines de mètres plus bas jusqu’à Sistiana. Ces rochers ont évidemment servi de défense durant les guerres mondiales et sont donc perforés de galeries mais la pupart ont été condamnées et les autres sont dissimulées. Nous avons malgré tout pu descendre dans une petite grotte fraîche mais il était bien difficile de se la représenter dans le climat de l’époque tant il s’agit aujourd’hui d’une simple cavité offrant une ravissante vue sur la mer.

Not on the way, again

En partant de Duino, nous avions prévu de marcher aujourd’hui l’étape officielle du Trail mais devant l’office du tourisme Sistiana une carte des chemins de randonnée nous a indiqué que la Via Alpina ainsi que d’autres sentiers conduisaient à Prosecco sans grimper au sommet du Monte San Leonardo. Nous avons décidé de suivre plutôt ces alternatives plus directes et nous sommes élancés d’un pas décidé sur une route. Après cent mètres environ, les trottoirs ont disparu et la route nous a semblé trop dangereuse. Retour à l’office du tourisme. Nous avons alors pensé à nous connecter à leur Wi-Fi pour enregistrer l’itinéraire sur la tablette et ne pas passer la journée à nous égarer dans toute la région. Nouveau départ dans la bonne direction cette fois-ci, d’un pas un peu plus mesuré, et début de notre aventure du jour loin du Trail et du Monte San Leonardo, certainement aussi majestueux que renommé.

Le reste de l’étape peut se résumer simplement : forêt, village, forêt, village et forêt, village. De nombreux restes de la première guerre mondiale jalonnaient les bois. Depuis quelques jours que nous arpentons ces bois, notre regard commence à repérer certains détails plutôt discrets de prime abord : une tranchée, des monticules ayant probablement servi à abriter les soldats des tirs ennemis, des brèches dans les rochers, etc. Toutefois, les informations sont rares et rudimentaires et la plupart de ces sites ne sont tout simplement pas mentionnés. Une flèche indique de temps à autre un lieu mais le contexte n’est pas expliqué. Nous avons de ce fait observé de nombreux restes de constructions sans savoir quelle armée les avait construites ou leur utilité. Et forcément ce que nous avons repéré ne représente qu’une infime partie des combats intenses qui se sont déroulés ici. Bien qu’il s’agisse d’une époque tragique que les habitants de la région ont forcément voulu oublier, ces événements ont marqué l’histoire et il ne suffit pas de laisser la forêt les avaler pour les faire disparaître. Il est beau d’arpenter ces bois paisibles et rassurant de constater que la nature pardonne et se relève, mais il demeure ici un cri silencieux que nous nous devons d’écouter. L’oubli ne comble jamais rien.

Prosecco

Vers midi, nous avons atteint le village triste et glauque de Prosecco. Nous aurions souhaité y faire quelques courses car nous n’avons presque plus rien à manger mais tous les commerces étaient fermés. Nous sommes alors partis en quête de notre hébergement au numéro 186 du village voisin ou jumeau ou dans tous les cas collé de Contovello. Rapidement, nous avons repéré le 185 et nous pensions toucher au but. Mais la maison suivante portait le numéro 517 et la suivante le 203… Il semble que les numéros sont attribués de façon tout à fait aléatoire et j’imagine que les facteurs ont besoin de six ou sept ans de formation avant d’être autonomes dans ce patelin. Finalement notre maison ne comportait pas de numéro sur sa façade et nous ne l’aurions jamais trouvée si une femme n’avait pas agité ses petits bras dans notre direction. Au téléphone, le propriétaire m’avait indiqué qu’il n’avait plus de chambre ou d’appartement à proprement parler mais qu’il avait une espéce de dortoir avec des lits qui conviendrait pour une nuit. Puisque nous n’avions rien trouvé d’autre nous avions accepté. C’est effectivement rudimentaire mais convenable pour une nuit sur la route, sauf que le prix est astronomique, voire malhonnête par rapport à la qualité de l’offre. Nous nous trouvons à l’étage d’un ancien office du tourisme, désaffecté sans doute car aucun touriste digne de bon sens ne viendrait à Prosecco. Les fenêtres sont obstruées par des autocollants décolorés par le soleil, la porte ne ferme pas et des néons apportent un charme fou au lieu. Trois lits et un canapé comblent l’espace et une petite salle-de-bains se situe au fond de la pièce. Il convient de relever qu’il y a des draps et des linges et que c’est plutôt propre. Il convient aussi d’ajouter qu’il n’y a pas de climatisation, pas de stores et quelques moisissures par-ci par-là. Et c’est d’une laideur inouïe.

Aussitôt après être arrivés, nous avons décidé de ressortir visiter le bourg médiéval de Contovello dans l’espoir d’y trouver un lieu un peu plus charmant pour passer l’après-midi. Nous sommes revenus bredouilles puisque ledit bourg est aussi animé qu’une grand-mère neurasthénique en soins palliatifs… En repartant du côté de Prosecco, nous avons toutefois déniché un petit bar dans lequel nous nous sommes installés jusqu’à ce qu’il soit suffisamment tard pour que nous puissions nous rendre au restaurant. Comme apéritif avant le repas, nous avons bien sûr commandé un Prosecco !